Surgissement d'un nouveau monde, Marc Luyckx Ghisi
Pour mon retour sur ce blog, je publie une très longue note de lecture sur ce livre très intéressant.
Surgissement d’un nouveau monde
Valeurs, vision, économie, politique… tout change
de MarcLUYCKX GHISI, ed. Alphée, 410 pages, 21,90 €
Notre monde se meurt. Dans cette mort, certains éléments sont tout à fait visibles (crises de nos institutions) d’autres le sont beaucoup moins :
- fin de la société industrielle (croissance quantitative qui nous conduit à la mort collective),
- mort de la modernité (fin du paradigme de foi inconditionnelle dans le progrès, la technique, la science, le développement économique),
- mort des valeurs patriarcales (structures pyramidales, conquêtes, compétition)
L’humanité se trouve à un moment exceptionnel : confrontée à la possibilité d’une mort collective. Le modèle qui nous a portés jusque là est basé sur la destruction, la guerre à la nature et produit de la mort.
Des anthropologues ont montré que d’anciennes civilisations ont existé avant les civilisations patriarcales, elles étaient matriarcales, plus pacifiques et plus égalitaires. Le passage au patriarcat s’est fait à peu près à la même époque en différents endroits de la terre et le patriarcat a instauré des mythes laissant croire qu’il n’y avait rien d’autre avant. Le patriarcat peut maintenant être considéré comme une période transitoire, très violente, de l’histoire de l’humanité, désormais inapte à mener l’humanité vers un avenir souhaitable. Il est temps de construire un partenariat authentique entre valeurs féminines et valeurs masculines.
Il est urgent de construire à côté des structures pyramidales qui se meurent, des nouvelles entreprises et institutions en réseaux, non pyramidales, souples et transparentes.
Comme ce qui s’est passé pour l’agriculture au cours du XXe siècle (on est passé de 80 à 4 % des emplois), une révolution similaire arrive dans l’industrie. Même la Chine perd des emplois industriels (robotisation). Dans quelques années dans l’UE on pourra avoir :
10% des emplois dans l’agriculture (supérieur à 4 % du fait du bio qui augmentera)
10 % dans la production industrielle
30 % dans les services
Et le reste ? Personne ne sait rien. On entre dans la société post industrielle. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’industrie mais que l’industrie ne domine plus notre société et ne crée pas d’emplois nouveaux
Reconstruction : la société de connaissance, la société transmoderne
Nous vivons un 3e changement d’outil de production. Le 1er a eu lieu il y a 5000 ans (environ 3500 ans av JC) : transition d’une société d’élevage et de cueillette (matrilinéaire et sans propriété privée) à une société agraire (patriarcat, propriété privée : besoin de délimiter les champs). Le 2e a eu lieu vers 1500 (Renaissance) : passage à la société moderne, industrielle et capitaliste. Nous vivons le 3e : passage vers une société postindustrielle, postcapitaliste, postpatriarcale.
Chaque changement majeur d’outil amène un changement de vision du monde et donc de civilisation. Outils de la société agraire : la terre. Outils de la société moderne : machine + capital + technologie. La modernité a conservé la vision pyramidale de la société qu’avait la société agraire mais la Raison a remplacé Dieu en haut de la pyramide. La modernité a été un grand mouvement de libération des individus par rapport à l’obscurantisme. Cela a permis le développement inouï des sciences et techniques … et de la population. Avec l’Etat de droit, la modernité a fait évoluer l’humanité vers moins de violence entre les personnes.
Aujourd’hui, on assiste à la montée en puissance de l’outil immatériel : le cerveau humain, en réseaux de partage, seul capable de produire de la connaissance. Ce changement d’outil de production nous conduit vers la société de connaissance et aussi vers une nouvelle vision de la vie, que l’auteur appelle transmoderne.
Le capital financier va devenir moins important que le capital humain dans une entreprise comme Google ou IBM par exemple. Ce sont les humains qui créent de la connaissance en réseaux, en appliquant de la connaissance à de la connaissance pour créer de la nouvelle connaissance (la connaissance ce n’est pas la même chose que l’information !). La connaissance devient un moyen d’obtenir des résultats sociaux et économiques.
Il y aura toujours de l’agriculture et de l’industrie mais la majorité des emplois nouveaux seront post-industriels. Un rapport de l’UE de 2007 chiffre à plus de 40 % le poids de l’économie immatérielle.
La transmodernité fera évoluer les Etats vers la non violence entre Etats. L’Union européenne est pionnière en ce sens : une innovation politique majeure du XXe siècle.
La mutation en cours est très importante : nous sortons de la période moderne industrielle mais aussi de l’ère patriarcale. Le degré de la mutation est plus important que lors de la mutation précédente, il est aussi plus difficile à cerner.
Cette mutation s’accompagne de nombreux changements : passage de la pyramide au réseau, recentrage sur l’humain, changement du mode de management, fin du secret et des brevets, partage et coopération, nouvelles monnaies, nouvelle définition du travail, inclusion sociale, rôle central de la culture, conception qualitative du progrès… C’est tout le système économique qui peut se transformer sous cette mutation profonde.
Il existe toutefois un scénario négatif du passage à la société de connaissance. Il résulte de l’utilisation du nouvel outil (cerveau humain, connaissance) mais sans changement de paradigme, en conservant la vision pyramidale de la société, en continuant à affirmer que la machine est plus importante que l’humain. Les conséquences : manipulation du cerveau humain (cf. le mouvement transhumaniste), guerres
Actuellement, les deux scénarios de mutations sont à l’œuvre, le scénario négatif est beaucoup plus visible que le scénario positif, il est porté par des forces économiques et financières importantes. C’est surtout le fait qu’il soit sous-tendu par une vision du monde « moderne », encore très prégnante quoique finissante, qui fait sa force.
La transmodernité (scénario positif du passage à la société de la connaissance) est sous-tendue par une nouvelle vision du monde. La valeur dominante de la nouvelle matrice de valeurs est la survie de l’humanité, à travers une relation nouvelle à établir avec la nature et le cosmos.
La société transmoderne est déjà là. Plusieurs changements majeurs ont déjà eu lieu, notamment dans le domaine scientifique, qui amènent cette nouvelle vision du monde. Ils sont pour l’instant peu explicités car les résistances de la société qui meurt sont grandes.
- Le temps et l’espace redéfinis : la physique de Newton constitue une exception par rapport à l’ensemble de la physique. L’espace est vu désormais comme une réserve d’énergie importante, non exploitée jusqu’à présent par nos technologies.
- Une nouvelle métaphysique : on passe de la métaphysique de type 1 (la base de tout est la matière combinée avec de l’énergie, la conscience émerge de la matière quand le processus d’évolution est assez avancé) à la métaphysique de type 3 (l’esprit et la conscience sont premiers, la matière énergie émane de la conscience). On saute l’étape de la métaphysique de type 2 (dualiste, considérant deux bases constitutives de l’Univers : la matière-énergie et la conscience).
- Le concept de vérité : on passe de concepts intolérants de la vérité (dans les sociétés prémodernes et modernes) à une vision ouverte et tolérante : personne ne possède la vérité ultime.
- Un nouveau sacré : pour la génération née en 1900, le sacré était lié à la distance et la « verticalité » : on s’élevait vers le divin en s’éloignant de la matière et du corps. Pour la jeune génération d’aujourd’hui, le sacré est plutôt lié à la reconnexion avec la nature et le cosmos, en nous, comme faisant partie de la nature, du cosmos. Ce nouveau sacré est lié au danger de mort collective.
- Structuration du pouvoir en réseaux : il est impossible de créer de la connaissance en fonctionnant en pyramide. Le réseau devient l’outil de travail indispensable qui favorise l’échange de connaissance, donc la création de connaissance nouvelle.
- Un nouvel horizon pour la science et la technologie : il ne s’agit pas d’abandonner la science et la technologie ni toutes les brillantes conquêtes de la modernité. Ce qui change, c’est l’horizon. Il est maintenant celui de la crise de survie de l’humanité, il s’agit de rediriger ce puissant outil technico-scientifique vers la réalisation d’un monde soutenable.
- Etc. Des changements importants et profonds ont lieu dans presque tous les domaines. Ils arriveront à maturité dans une génération.
Attention : le danger principal dans la mutation que nous vivons c’est de gérer la nouvelle économie et la nouvelle société avec les anciennes valeurs modernes, industrielles et patriarcales. Le danger n’est pas le changement, mais la manière dont nous le vivons.
Une excellente nouvelle : plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde sont en train de changer de valeurs et de comportements (100 millions en Europe). Des enquêtes sociologiques ont eu lieu dans différents pays, à partir de 1997. Elles ont mis en évidence qu’environ un quart de la population vit selon de nouvelles valeurs. Cette proportion augmente avec le temps. Les sociologues ont nommé ces personnes les « créateurs de culture » ou « créatifs culturels ». Leurs points communs : conscients des responsabilités planétaires de l’humanité devant le futur, sensibles à l’écologie, engagés là où ils vivent, porteurs de valeurs féminines, refusant le modèle de la société de consommation, portés sur le développement personnel et spirituel, très méfiants vis-à-vis de la politique et des politiciens. Les deux tiers de ces personnes sont des femmes.
Ces personnes forment un groupe important mais n’en ont aucune conscience. C’est une révolution silencieuse. Les médias et les responsables politiques ne les voient pas, car cela n’entre pas dans leur vision du monde. Par ces personnes et les transformations qu’elles opèrent, les valeurs de la société de la connaissance transmoderne sont en train de gagner du terrain partout, avec une rapidité et une intensité incroyables. Dans un silence parfait.
L’éducation sera à revoir énormément en relation avec cette nouvelle société. L’enjeu est notamment de réenchanter la jeunesse. De nouvelles écoles, universités seront créées, à côté du système existant finissant. L’auteur donne de grandes orientations. Il a participé lui-même à la création d’une école de management d’un nouveau style en Croatie en 2004.
La société de demain : transmoderne, soutenable et socialement inclusive. Il est très difficile de dire comment seront la société et l’économie de demain, tellement la mutation est profonde. Quelques axes importants :
- Désindustrialisation de l’agriculture et retour à la terre
- De plus en plus de connaissance, donc de savoir-faire, attachés à l’objet, par l’étiquette
- Economie verte et sociale, croissance qualitative
- Energie : réseaux décentralisés et intelligents, autonomie
- Décroissance industrielle
- Désindustrialisation de la médecine
- Adieu à la société de consommation, introduction du sens, simplicité volontaire
- Les savoir-faire sont des acquis immatériels très précieux, tout comme les savoir être, la sagesse (connaissance accumulée dans le temps et mise en action dans le sens de la vie et de la soutenabilité)
- Rôle primordial de la culture, comme source de créativité
Dans cette mutation, les alliés et les ennemis ne sont plus les mêmes, ni aux mêmes endroits. Le paysage politique au sens large est en train de se recomposer complètement. Pas facile de s’y retrouver.
L’auteur termine par son expérience personnelle de réenchantement.
Annexe 1 : graphiques et tableaux explicatifs
Annexe 2 : explication détaillée des paradigmes
Annexe 3 : le principe de subsidiarité
L’auteur a étudié les mathématiques, la philosophie et la théologie. Il a été pendant 10 ans conseiller des présidents Delors et Sauter à la cellule de prospective de la Commission européenne.
Il a publié d’autres livres sur des thèmes proches.
Il a un blog : http://vision2020.canalblog.com/